Je ne sais pas si c'est à l'état de légiférer sur ce sujet, ou aux familles et à la société d'évoluer d'elles-mêmes et je ne souhaite pas du tout entrer dans ce sujet délicat. Je ne tiens pas à commenter ni les actions de mon gouvernement (légitime à conduire les affaires de l’État), ni les actions de la "manif pour tous" (légitime à interroger l'action de son gouvernement). Il y a juste un argument dans ce débat que je ne cesse d'entendre et que je souhaiterais briser une fois pour toute.
L'argument le voici résumé en substance : "L'étude du genre conduit à la fin du genre. Elle rendra les hommes et les femmes égaux et ce sera la disparition de la femme et de l'homme. Les individus vont perdre une partie de leur identité."
Je définis l'identité comme un ensemble de propriétés que je me suis attribué ou que le monde m'a attribué.
Voici quelques propriétés qui m'ont été attribuées à ma naissance par le monde : "je m'appelle Romaric Briand" ; "je suis français" ; "je suis un homme", etc. A contrario, certaines de mes propriétés, je les ai gagnées, par mon travail ou par mes choix personnels. Autrement dit, les autres propriétés de ma personne, je me les suis attribué, moi-même. En voici certaines : "j'ai les cheveux longs" ; "je suis l'auteur du Val et de Sens" ; "je suis le père de Soren" ; etc.
Tous ces faits forment mon identité personnelle. Mon identité personnelle est donc composée de faits de deux types : des "faits imposés" (par ma naissance, la nature et la société, etc.) et des "faits volontaires" (que j'ai choisis d'adopter, par la suite, au cours de ma vie).
Est-ce que je perds mon identité du fait de voir un fait imposé devenir un fait volontaire ? Imaginons que toutes les personnes qui ont le fait imposé "je suis une femme" se voient également imposer le fait "je porte un voile". Du jour au lendemain, la société décide de faire du port du voile non plus une obligation pour les femmes, mais un choix. Autrement dit, le fait que "je porte un voile" n'est plus imposé pour les êtres possédant le fait "je suis une femme". Par conséquent, lorsque je suis une femme, je peux maintenant décider de porter un voile ou pas.
Je donne lieu à deux femmes possibles : l'une portant le voile et l'autre n'en portant pas. Je multiplie par deux le nombre d'identités possibles pour les femmes. Est-ce que l'identité des femmes portant le voile est remise en cause ? Non, elle demeure. Est-ce que les femmes demeurent ? Bien-sûr. L'identité de chaque femme est même plus "forte" ! Parce que les femmes portant le voile ont maintenant fait le choix de le porter. Inversement, les femmes ne le portant pas ont choisi de ne pas le porter.
Étudier le genre, c'est - il me semble - constater qu'un ensemble de faits est imposé par une société donnée, en fonction de deux faits très particuliers. Les voici : "la biologie a défini que j'étais de sexe masculin" ou "la biologie a défini que j'étais de sexe féminin". Les propriétés de chaque genre sont l'ensemble des faits imposés par une société en fonction du sexe biologique, parce que cette société juge qu'elles lui sont essentielles. L'étude du genre a pour objectif de nous faire prendre du recul sur les faits qu'une société donnée nous impose, en fonction de ces deux faits initiaux. Plus exactement, la théorie du genre cherche à nous interroger sur l'injonction sociale, le déterminisme social, causés par le fait que l'on ait tel ou tel sexe.
Autrement dit, étudier son genre, c'est prendre conscience qu'une société nous impose des faits en fonction de notre sexe. Une fois qu'on a conscience de cela, il nous est possible de choisir les faits de notre identité personnelle. Les faits qui nous étaient imposés jusque là vont pouvoir devenir volontaires. Ces choix volontaires de telles ou telles propriétés renforcent notre identité. Elles enrichissent grandement la nature humaine. Elles favorisent la diversité du genre humain. En d'autres termes, les propriétés de chaque genre ne disparaissent pas, ces propriétés deviennent libres. Chaque propriété se trouvent renforcés.
Personnellement, j'ai choisi d'être un homme, j'ai choisi d'être un papa, j'ai choisi d'épouser une femme et c'est justement parce que j'ai choisi toutes ces propriétés que je peux en être fier. Si je n'ai pas choisi d'être un homme, je ne peux pas me vanter d'en être un. Si je n'ai pas choisi d'être papa, comment vais-je pouvoir demander à mon fils d'en être un plus tard ? Comment vais-je faire pour lui montrer l'intérêt d'être un père ? L'argument "c'est comme ça et puis c'est tout ! parce que traditionnellement c'est comme ça !" ne convaincra pas nos enfants. Si nous voulons, pour nos enfants, des papas et des mamans, il faut que les papas et les mamans le soient en ayant choisi de l'être.
Aujourd'hui, je suis fier d'être un homme grâce à l'étude de mon genre. Je n'ai pas perdu mon identité, au contraire, elle s'en trouve renforcée parce que grâce au recul acquis par l'étude de mon genre, je sais maintenant ce que signifie le fait d'être un homme. Être un homme, c'est choisir les propriétés que je crois essentielles au genre masculin et non plus seulement laisser la société me les imposer.
Ce qu'ont en commun les quatre femmes ci-dessus (Virginie Tellenne, Najat Vallaud-Belkacem, Judith Butler et Simone de Beauvoir), c'est d'être devenues des femmes en choisissant les propriétés qu'elles jugeaient essentielles à une femme. Elles n'ont pas laissé la société leur imposer leurs faits, sous prétexte qu'elles avaient un sexe féminin. Leur genre n'a pas disparu du fait qu'elles l'aient étudié, au contraire, leur genre s'en est trouvé renforcé. Et aujourd'hui on peut s'émerveiller et dire "Bon sang ! Quelles femmes !"
Oui, même Virgine Tellenne ! Elle aussi s'interroge sur son genre. Et si vous êtes surpris de la trouver là, c'est juste qu'elle n'a pas choisi les mêmes propriétés que vous pour définir son genre. Mais en manifestant pour la conservation de certaines propriétés, indirectement, les manifestants réfléchissent sur leur genre. Tôt ou tard, ils seront obligés de dire : "j'ai choisi pour la femme qu'elle soit ainsi... et pour l'homme qu'il soit ainsi...", "le papa, c'est ceci", "la maman, c'est cela". Et, ainsi, en rejetant une supposée "théorie du genre", c'est eux qui sont en train de la faire. Tel est prit qui croyait prendre, vous ne trouvez pas ?
4 commentaires:
Merci pour ce texte. Je suis entièrement d'accord avec toi. Il me semble que tu bases ta réflexion sur des éléments factuels, sur des réalités scientifiques, fruit de plusieurs décennies de recherche empirique. Je suis fatigué d'entendre à longueur de journée des discussions de comptoirs qui balaient d'un revers de main toute la légitimité de la science… cela tient parfois même de l'obscurantisme le plus total. S'il peut exister un sujet de débat à propos de la manière d'enseigner le genre (génétique et culturel), les études de genres appartiennent à un vaste domaine scientifique qui doit sortir du champ politique.
Emilien, alias Mojo le scientifique ;)
(Et ça me ferait bien plaisir de te revoir depuis tt ce temps !)
Sujet explosif que j'approcherai avec circonspection vu les passions et les degrés d'approche.
Tu postules que c'est la société qui imposerait historiquement le genre.
Le choix du genre apparaît alors comme une prise de conscience et une détermination libre de l'individu par rapport à la société.
Hypothèse :
Et si le genre était lui aussi initialement imposé par la biologie et simplement relayé comme une évidence naturelle par la société ?
(et je ne prétends pas que ce soit le cas, je ne fais que m'interroger sur cette possibilité)
La détermination ne serait plus alors un choix social, mais bien une détermination de sois en accord ou en rejet de sa biologie (par la transcendance).
Le "choix" de son genre se réduirait alors en effet :
- soit à une absence de choix (conserver le genre induit par son sexe)
- soit à une possibilité de révolte (abandonner le genre induit par son sexe pour en adopter un autre).
Au final, on ne choisirait pas "ab initio" d'être homme, mais plutôt "ex-post" de ne plus l'être.
Je n'ai pas de réponse, juste une intuition mais si tu connais des sources qui démontrent l'origine exclusivement sociale (donc non biologique) de la détermination initiale du genre, je suis intéressé.
Ce serait une excellente idée, mimile !
réflexion intéressante Steve mais je n'arrive pas accepter ton hypothèse. (ou alors je ne la comprends pas)
Il me semble possible d'imaginer une société ou un monde dans lequel deux personnes, l'une de sexe féminin et l'autre de sexe masculin (au sens biologique), ont toutes les deux les mêmes propriétés. A partir de là, on ne peut plus poser ton hypothèse, si ?
Bonjour Romaric, merci pour ta réponse
il me semble tout à fait possible d'imaginer une société ou un monde dans lequel deux personnes, l'une de sexe féminin et l'autre de sexe masculin (au sens biologique)ont toutes les deux les mêmes "propriétés" sociales et culturelles par rapport au sexe.
Avec une réserve : je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu désignes par "propriétés" dans ta formulation.
Si tu emploies le mot dans un autre sens que "conceptions" peux-tu brièvement détailler stp ?
Après vérification, je ne pense pas que mon constat invalide la formulation de mon hypothèse - ce qui ne présage pas de sa pertinence en dernier lieu.
Pour clarifier, les questions que je me pose par rapport au genre et qui m'ont fait poser mon hypothèse c'est :
1 - Quand est-ce que le genre d'un individu naît ? Au stade foetal ? Au début de sa socialisation (manifestement) ? Au moment de ses premiers émois ? Lorsqu'il comprend pour la première fois du concept du genre ?
2 - le genre d'un individu se détermine-t-il initialement :
- exclusivement en fonction de ses choix personnels et de son contexte historique/sociale/culturelle ?
- également en fonction de déterminismes biologiques/physiologiques ?
3 - est-ce que les réponses aux questions précédentes ont fait l'objet de démonstrations dont le protocole et les résultats peuvent être consultés ?
En bref, sans minimiser les facultés humaines de transcender ses déterminismes, est-ce que le biologique influence le genre initial d'un individu ?
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